Rencontre avec le collectif Les Morts de la Rue
À l'occasion de l'hommage national rendu le 15 mars 2022 aux personnes sans-domicile mortes depuis un an, La Cloche s'est entretenue avec Bérangère Grisoni qui préside le collectif Les Morts de la Rue.
Qu'est-ce que le collectif Les Morts de la Rue ?
Le collectif Les Morts de la Rue (CMDR) est une association née fin 2002, début 2003. Il regroupe des acteur(rice)s de terrain, une cinquantaine d'acteur(rice)s associatif(ve)s et des personnes elles-mêmes en situation de rue, tou(te)s en lien permanent avec des personnes en grande précarité sur la France entière ainsi que deux associations en Belgique.
Le collectif se compose d'une équipe permanente qui compte quatre personnes, six Volontaires en Service Civique et environ 150 bénévoles issu(e)s de tous horizons. La place des bénévoles est très importante, il nous semble essentiel que la société civile soit représentée et active dans les actions du collectif.
En quoi consiste le travail du collectif ?
La principale mission est de faire savoir que des conditions de vie à la rue mènent à une mort prématurée. Actuellement, l’âge moyen des décès des personnes qui ont passé un temps court - ou beaucoup plus long - à la rue est de 49 ans. C’est très bas, c’est 30 ans de moins par rapport à la population générale nationale.
La deuxième mission, c’est de veiller à la dignité des funérailles, accompagner les proches en deuil, les renseigner… En sommes : les accompagner dans leurs démarches de deuil. Autre action que nous menons depuis 2004, l'accompagnement des Morts isolés en convention avec la Ville de Paris. L'institut médico-légal et les Services funéraires de Paris nous informent du départ des personnes dont les services publics n'ont pas retrouvés les proches. Ces personnes ne sont pas toutes sans domicile. Aujourd'hui, nous accompagnons jusqu'à la tombe environ 50 personnes par mois, ce qui est énorme.
On propose également des sessions de formation et de sensibilisation, destinées notamment aux professionnel(le)s et bénévoles qui travaillent dans les associations qui s'occupent des personnes en situation de précarité. Enfin, depuis 2012, nous menons une enquête épidémiologique appelée Dénombrer et Décrire. Ce travail, financé en partie par la Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL, auparavant Direction Générale de la Cohésion Sociale-DGCS), permet d'assurer un rôle de veille continue constituant un réel observatoire de la mortalité des personnes sans chez soi.

Pourquoi réalisez-vous un recensement des personnes décédées sans-domicile ?
Pour nous, cette liste - qui n’est pas exhaustive du tout - est importante pour plusieurs raisons. C’est important qu’on puisse avoir connaissance de ces décès, de cette triste réalité. Moi-même, avant d’être au collectif, je n’avais pas idée qu’il y avait des centaines de personnes qui décédaient chaque année en France, du fait de ne pas avoir de chez-soi. Ce sont nos voisin(e)s de rue, au cœur de la ville, partout en France et tous les jours de l’année. On peut croire que ça va plutôt être dans les périodes de grand froid, mais pas du tout. Si vous regardez le faire-part de cette année, vous verrez que les personnes décèdent toute l’année.
C’est également important pour les familles et pour les proches. Parfois, les histoires de vie font que certaines personnes n’étaient plus en lien, mais elles se doutent que leur frère, leur oncle, leur cousin(e), leur sœur… a vécu à la rue. Il arrive parfois que, des années après un décès, des proches nous contactent en disant “J’ai trouvé le nom de mon frère, ma sœur [etc.], pouvez-vous m’en dire plus ?”. On n’accompagne pas tout le monde, mais lorsque nous avons participé aux funérailles, une trace écrite est gardée pour pouvoir rendre compte aux familles de ce qui s'est passé, quel texte a été lu, quelle fleur a été déposée... On transmet alors ces informations aux proches.
C’est donc important de savoir et de faire savoir et c’est aussi la raison de l’existence de l’enquête épidémiologique Dénombrer et Décrire.

Un message à faire passer aux citoyen(ne)s ?
Le premier message à faire passer, c’est que vivre à la rue tue beaucoup et prématurément. Ensuite, le deuxième message, c’est un message qui ne se veut pas culpabilisant du tout, mais qui doit être dit : nous n’y sommes pour rien, mais nous y pouvons tou(te)s quelque chose.
Retrouvez plus d’informations sur le site du collectif Les Morts de la Rue.